La promesse de l'aube



...Ce fut ainsi que je fis connaissance avec l’absolu, dont je garderai sans doute jusqu’au bout,
à l’âme, la morsure profonde, comme une absence de quelqu’un.
Je n’avais que neuf ans et je ne pouvais guère me douter que je venais de ressentir pour la première fois l’étreinte de ce que, plus de trente ans plus tard, je devais appeler “les racines du ciel”, dans le roman qui porte ce titre.
L’absolu me signifiait soudain sa présence inaccessible et, déjà, à ma soif impérieuse, je ne savais quelle source offrir pour l’apaiser. Ce fut sans doute ce jour-là que je suis né en tant qu’artiste ; par ce suprême échec que l’art est toujours, l’homme, éternel tricheur de lui-même, essaye de faire passer pour une réponse
ce qui est condamné à demeurer comme une tragique interpellation.
Il me semble que j’y suis encore, assis, dans ma culotte courte, parmi les orties, la bouteille magique à la main. Je faisais des efforts d’imagination presque paniques, car je pressentais déjà que le temps m’était strictement compté ; mais je ne trouvais rien qui fût à la mesure de mon étrange besoin, rien qui fût digne de ma mère, de mon amour, de tout ce que j’eusse voulu lui donner. Le goût du chef-d’œuvre venait de me visiter et ne devait plus jamais me quitter.
Peu à peu, mes lèvres se mirent à trembler, mon visage fit une grimace dépitée
et je me mis à hurler de colère, de peur et d’étonnement.
Depuis, je me suis fait à l’idée et, au lieu de hurler, j’écris des livres...

Romain Gary

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